Le transport à la voile a le vent en poupe
Lorsqu’en 1953, Bernard Morgan, retraité londonien, imagina la Tall Ships Race qui se déroulerait en 1956, il pensait organiser un baroud d’honneur pour les Grands Voiliers qui, selon toute vraisemblance, allaient disparaître dans les années à suivre (cf. GVI 85 Hiver 2018/19).
Qui aurait misé un euro il y a une quinzaine d’années dans une entreprise de transport à la voile ? Sans doute pas grand monde. Et, pourtant, quelques « originaux » commençaient à y réfléchir sérieusement. En 2008, la Compagnie de transport maritime à la voile (CTMV), avec à sa tête Michel Péry, ex-commandant de rouliers et ex-commandant du Belem, envisageait la construction d’un premier voilier de 47 mètres qui devait être suivi de deux ou trois autres. Des contrats avaient même été signés avec des importateurs de vin irlandais et londoniens. Mais la crise financière de 2008 balaya d’un trait de plume ce beau projet sur le point d’aboutir. En 2011, Guillaume Le Grand créait TransOceanic Wind Transport (TOWT), affrétant de vieux gréements pour transporter de façon totalement décarbonée thé des Canaries, sel de Guérande, rhum des Antilles. A l’époque, ils étaient traités d’utopistes, et certains spécialistes du transport maritime prédisaient même que leurs entreprises ne passeraient pas l’hiver.
Pourtant, aujourd’hui les projets fleurissent, et certains avancent de façon inattendue. La filière française semble être particulièrement active, mais des projets naissent un peu partout dans le monde. Certains se contentent d’affréter des voiliers existants, comme le font les Frères de la côte ou la Plate-forme bretonne de transport à la voile, ou comme l’a fait TOWT depuis une dizaine d’années avant de prendre une autre dimension. D’autres rachètent ou restaurent de vieux gréements, comme Fairtransport aux Pays-Bas. D’autres, enfin, font construire des voiliers modernes, innovants, étudiés et construits par des entreprises de renom.
Certes, les voiliers ne sont pas près de supplanter les énormes porte-conteneurs dont certains dépassent les 400 mètres, mais on commence à voir des prototypes de porte-conteneurs à voile et à équiper certains gros cargos de voile de kite. Car, pour les armateurs, l’enjeu est double. D’une part, sur les longs trajets, toute économie de carburant devient financièrement intéressante et, d’autre part, l’Organisation maritime internationale précise que, pour respecter l’Accord de Paris, les émissions de CO² devront être réduites de moitié d’ici 2050. La pression est mise sur les armateurs pour qu’ils utilisent des modes de propulsion plus propres.
Dans ce numéro, nous faisons le point sur TOWT qui lance la construction d’une goélette de 69 mètres de longueur de coque, sur la Blue Schooner Company qui exploite la goélette Gallant, sur Néoline (ex-CTMV) qui s’apprête à lancer la construction d’un cargo à quatre mâts très novateur de 136 mètres, sur Grain de Sail qui vient de passer commande de son deuxième voilier et sur Canopée de Zéphyr et Borée, un voilier-cargo de 121 mètres qui, fin 2022, emportera vers la Guyane les tronçons de la fusée Ariane 6.
Certains esprits chagrins, ceux qui voient le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, critiqueront le fait que les coques de certains voiliers seront construites en Roumanie ou en Asie pour être ensuite remorquées jusqu’en Bretagne, alors que le chômage reste en France à un niveau trop élevé. En réalité, ce choix ne pouvait être différent. Il n’y a pas actuellement dans l’hexagone de forme disponible pour ce type de construction : les Chantiers de l’Atlantique ont un carnet de commande comme ils n’en ont jamais eu, Piriou/Kership est également blindé par des commandes pour la pêche et la Marine nationale. Quant à Naval Group, il ne construit que des bâtiments militaires et son planning est plein jusqu’en 2027. Par ailleurs, on ne trouve plus de soudeurs en France. Ceux qui travaillent actuellement sur les chantiers français sont polonais ou vietnamiens. En revanche, toute la partie de haute technicité des voiliers sera réalisée en France.